• La truffe du Périgord, qui est le nom d’une espèce et n’indique pas de provenance, a connu son « heure de gloire » en Périgord- et dans les régions « truffigènes » de France ( Sud-Est et Quercy) fin dix-neuvième et début vingtième. Elle a colonisé les terrains libérés par la viticulture ( crise du phylloxéra de 1870) ainsi que ceux laissés vacants par l’exode rural qui a débuté au milieu du 19°. Ces terrains vierges de toute pollution d’origine chimique, de tout tassement du sol par des machines agricoles, situés dans un environnement peu boisé, de petites parcelles souvent fermées par des « muraillers », constitués avec les pierres tirées du sol lors des travaux agricoles, ont constitué un espace de colonisation idéal pour le champignon truffe qui a besoin d’espaces ouverts pour se développer. Ces truffières ( lieux où l’on trouve des truffes) étaient soit naturelles, soit provenaient de glands semés ou de petits plants de chênes mis en terre : le milieu était tellement favorable à la truffe du Périgord que la mycorhization (l’installation du champignon sur les radicelles ) des glands ou des plants s’effectuait naturellement : dans les milieux calcaires favorables à la truffe, de vastes zones ont été ainsi plantées en chênes truffiers. On voit encore dans les paysages des causses les alignements d’arbres désormais quasi centenaires.

  • Toute une économie s’est développée autour de la truffe. Jean Rebière, instituteur agricole, conseiller général de la Dordogne, un des moteurs de la relance des plantations truffières, il y a trente ans, insistait sur le nombre de bâtiments du Causse périgourdin ou du Lot, édifiés fin 19° grâce à l’argent frais que représentaient les truffes. Des ouvriers agricoles étaient embauchés pour travailler les truffières au « bigot » (outil traditionnel à deux dents) au printemps, après la récolte. Des baux de location de terrains produisant de la truffe signés, du personnel embauché pour trier et nettoyer les truffes avant utilisation. Des conserveries se sont développées, des marchés, des filières de vente , ont été mis sur pied. Plusieurs familles de la commune de Coulaures ont des diplômes de 1910, signés par le roi des Belges, remis lors de l’exposition de Bruxelles de cette même année à « la collectivité truffière de Coulaures pour la qualité des truffes présentées ». Il y a cent ans, des paysans n’avaient donc pas hésité à faire les 1000 kms les séparant de la Belgique, à y amener leurs produits, preuve de l’importance économique de ces derniers. C’est à ces moments là que l’image de la qualité gastronomique des produits du Périgord s’est forgée. La truffe en a été un des éléments moteurs ( en particulier avec le pâté périgourdin, foie gras, chair à saucisse, truffé à 10, 5%.. !!). La production moyenne de truffes en France, oscillait autour de 1 000 tonnes, des années record à 2000 tonnes ( avec des cours qui lorsqu’on établit des comparaisons étaient assez proches des cours actuels) ! Toute une réflexion technique a été menée à cette époque sur les moyens d’arriver à produire des truffes, des ouvrages publiés qui sont encore d’actualité.

  • Tout au long du vingtième siècle, la régression de la production de truffes a été régulière. Une des grandes causes est l’énorme saignée opérée par la guerre de 1914 dans le monde paysan : les survivants, les femmes, les enfants ont privilégié les cultures vivrières, la vigne, les noix, l’alimentation des animaux et ont délaissé les truffières. Dans les années soixante-dix, une sorte de plancher a été atteint avec des années ne dépassant 20 tonnes au niveau national ( soit 100 fois moins que les années record !). C’est à ce moment qu’une réaction s’est produite. Des pionniers ont voulu relever le défi de retrouver des truffes. Un élément technique est venu les aider : la mise au point du « plant mycorhizé », arbuste d’une vingtaine de cms avec les racines porteuses du champignon. Il a été long à mettre au point, d’autant plus que les leçons des échecs n’apparaissent que dix, quinze après la plantation. Les plantations d’arbres mycorhizés ont cependant permis d’enrayer le déclin inexorable de la production de truffes. La production est « remontée » à quelques dizaines de tonnes, issues de ces plantations.

  • L’impact économique actuel de la truffe est le suivant : des pépinières se sont créées pour produire du plant mycorhizé. Actuellement, il s’en plante environ 35.000 chaque année en Aquitaine ( coût entre 12 et 15 €). Des structure techniques encadrent ces efforts de plantations. Tout un ensemble d’activités se mettent en place autour de la truffe. L’offre de terrains favorables au champignon est devenue rare et les prix de ces derniers ont grimpé. Comme en Dordogne l’effort est très soutenu depuis des années, la production a été relancée. Onze marchés sont agréés par la Fédération Départementale des Trufficulteurs du Périgord ( FDTP) : les règles de qualité des produits et de transparence y sont communes. Il subsiste de échecs, des inconnus, les sautes d’humeur du climat causent des dégâts considérables ( sécheresse, excès d’eau, coup brutal de froid..), mais la production est là et s’est située-en Dordogne- entre 5 et 10 tonnes ces dernières années. Le Périgord est en train de retrouver sa place !

  • Plus qu’impact économique, c’est la valeur patrimoniale, culturelle de la truffe qu’il convient de souligner. Depuis quelques années, le Conseil Général de la Dordogne présente la majorité de ses filières agricoles lors de quelques journées au pied du Sacré-cœur De Montmartre. Il y a une quarantaine de stands dont celui de la FDTP. Ceux qui visitent viennent de tous les continents, ils sont souvent jeunes. Beaucoup connaissent le nom du Périgord grâce à celui de la truffe ( au point même que certains pensent que la truffe n’est récoltée qu’en Périgord). La majorité ont envie de le goûter.

  • Produit noble, exceptionnel par son arôme, chargé de mystère puisque sa culture n’est pas maîtrisée, évoquant le passé et cet âge d’or d’une agriculture paysanne abondante mais, respectueuse de l’environnement, produit naturel s’il en est, la truffe est un formidable vecteur de richesse pour les terroirs qui savent la domestiquer.